Table ronde du 16/02/2010 sur l’Europe :
Rencontre avec M. Jean-Pierre JOUYET, président actuel de l'Autorité des marchés financiers, ancien directeur de cabinet du président de la Commission européenne Jacques Delors et ancien secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes.
par Morgane Lang et Perrine Chauliac.
Nous vous renvoyons au compte-rendu de la séance du 11 janvier et à l’affiche annonçant la table ronde pour une présentation plus complète de la séance et de notre invité, que nous remercions encore vivement d’avoir bien voulu consacrer une partie de son temps à un dialogue avec des lycéens, dans le seul but, encore et encore, d’œuvrer pour l’avenir de la construction européenne. Merci.
• FINANCE ET EURO
journalistes : Louise Benkimoun, Baptiste Rossi, Romain Chapel.
1. La situation de la Grèce : elle ne constitue en aucun cas une remise en cause de l’euro mais est problématique pour le pays lui-même et il existe un risque de contagion vers les autres PIGS (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne). Cette situation est en grande partie liée au mensonge de l’Etat grec sur le budget, et en particulier sur les dépenses militaires (conflit à Chypre). Il y a aussi des problèmes de taxation des entreprises en Grèce, qui appellent des mesures de redressement.
Pour y remédier, les pays de l’Union se sont rassemblés mais n’ont abouti qu’à une déclaration de principe, choisissant ainsi la voie de l’impuissance puisque aucune action n’a été entreprise.
Quelles sont alors les solutions ? Le recours au FMI est perçu comme une humiliation, l’Europe n’a pas d’expert capable de prendre la situation en main (redressement monétaire ; seulement des experts dans la macroéconomie) et la BCE n’entre pas dans des mesures d’ajustement à l’échelle d’un Etat car c’est une question de respect de la souveraineté d’une nation. Pourtant, la pression des marchés nécessite une coopération entre l’UE et le FMI et un recours à des experts d’institutions internationales.
Le problème de la Grèce met à jour un « vide de construction » dans le traité de Maastricht : le Pacte de Stabilité et de Croissance n’est que théorique et ne permet pas de rétablir la situation, il n’y a pas de gouvernance financière. Il faut pourtant, d’après Monsieur Jouyet, penser à mettre en place des mécanismes de contrôle pour éviter les prochains déséquilibres car les marchés financiers n’attendront pas (pour spéculer sur l’Euro).
→ Jusqu’où doit aller la coordination et la solidarité dans l’Union ? Les banques centrales peuvent-elles aider à garantir les émissions grecques ? La politique monétaire de l’Europe est menée par l’Allemagne, mais Angela Merkel ne bénéficie d’aucun soutien politique dans son pays pur aider la Grèce. Faut-il créer un fond monétaire européen ? Monsieur Jouyet pense que le FMI suffit.
2. L’absence de politique de relance européenne contre la crise: Monsieur Jouyet est moins choqué par ce « défaut » européen, car les systèmes bancaires sont trop différents entre les pays. Par exemple, le système bancaire allemand se rapproche plus du système américain, autre pays fédéral, avec une banque fédérale, la Deutschbank, et des banques régionales. Ce n’est pas du tout le cas dans les pays centralisé comme la France. Certaines banques se sont trouvées renforcées (BNP Paribas) alors que d’autres ont été très affaiblies (Banque Populaire). Il est donc difficile de lancer un plan commun, d’autant plus que l’Union n’en a pas les moyens, le budget européen étant très faible. → créer un Fond européen (en augmentant les cotisations nationales) permettrait des actions communes.
Mais l’Europe souffre des visions trop individuelles de chaque Etat, il n’y a pas de regard commun, de vision d’ensemble pour la politique de relance, la Commission (organe supranational) n’a pas d’initiative dans le domaine, c’est un domaine relevant de l’intergouvernemental.
3. Les traders et les bonus (question du public): ils sont devenus des boucs émissaires mais ne sont pas la cause de tous les problèmes. Ce qui est plus grave, c’est que le mode de financement de l’économie est atteint et doit être remis en cause. La rémunération des « traders » n’est pas plus choquante que celle de certains footballeurs, par exemple ! Et il existe un moyen de rétablir une certaine justice sociale quand on juge que des rémunérations sont excessives : la fiscalité !
• FONCTIONNEMENT DE L’UE, LISIBILITE, LEGITIMITE DEMOCRATIQUE
journalistes : Sarah Katz, Baptiste Rossi.
1. Le rôle du couple franco-allemand : contrairement au discours officiel, les deux gouvernements ne souhaitent pas un pouvoir exécutif fort ; ils préfèrent conserver leur influence sur l’Union et avoir la Commission « à leur service ».
2. Le traité de Lisbonne constitue une avancée démocratique essentielle en renforçant le rôle du Parlement car il élargit son pouvoir de codécision. La répartition des députés se fait selon une logique transversale : ils sont regroupés par parti et non par nation. Mais les députés agissent encore selon une logique nationale, défendant les intérêts de leur propre pays !!! Il n’y a pas de listes électorales européennes ; les députés espagnols défendent leur droit de pêche contre les Français, qui tiennent à la PAC alors que les Allemands voudraient dépenser moins…….. Là encore, les acteurs européens manquent de vision d’ensemble.
Le traité a aussi atténué les problèmes de souveraineté en rééquilibrant la marge d’action des parlements nationaux et du Parlement européen : un dialogue est établi clairement entre les deux niveaux de souveraineté, le Parlement européen doit être consulté par les parlements nationaux et une surveillance mutuelle est instaurée.
Cependant le traité est un échec relatif du point de vue de la lisibilité : le Président de l’UE (Monsieur Van Rompuy) est jugé trop discret (mais il vient d’arriver) et les Français ne connaissent pas leurs représentants européens.
La responsabilité de la Commission européenne doit être étendue encore, devant le Parlement. C’est une question de légitimité démocratique.
• L’ELARGISSEMENT
journalistes : Morgane Lang, Augustin Quillet, Gerald Giaoui, Donatien Censier-Mary.
- L’intégration d’autres pays est possible et souhaitable : celle des pays balkaniques ne déstabilisera pas l’Europe (ce sont des petits pays), du moment qu’ils respectent les règles (lutte contre la corruption, les mafias…) ; on est passé de 15 à 27 dans l’UE sans qu’il y ait de dégradation à cause des nouveaux pays. L’intégration est même un facteur de paix en ex-Yougoslavie.
Beaucoup de pays ont des accords économiques poussés avec l’Europe qui leur confèrent tous les avantages du marché commun sans les engager à la solidarité : par exemple la Suisse et la Norvège. Cependant, la demande d’adhésion de l’Islande en pleine faillite peut faire douter de sa motivation à appartenir à une communauté de valeurs.
- L’intégration de la Turquie : 80% des français sont contre son entrée dans l’Union. Pourtant :
· Elle remplit les critères de Copenhague depuis 2004 et peut donc prétendre à l’entrée dans l’UE qui est une construction de droits (juridique) et non « ethnique ». Le problème de l’occupation chypriote doit être cependant résolu.
· Supprimer toute perspective d’adhésion, c’est restreindre la démocratie, la laïcité, à l’Europe à majorité chrétienne, c’est refuser de soutenir les laïcs et les démocrates turcs. A quel titre ?
· Dans un monde globalisé, intégrer la Turquie permet de déplacer le centre de gravité de l’UE vers l’Asie. La Turquie est aussi une pièce maîtresse de l’OTAN, un pont entre l’Europe, la Russie et le Moyen Orient. Cet argument géostratégique ne doit pas se retourner contre l’UE par repli identitaire.
L’entrée de la Turquie dans l’UE devient parfois un simple argument de politique intérieure : le contexte électoral français actuel est islamophobe. En ce qui concerne l’UE, Monsieur Jouyet pense qu’il va falloir qu’elle évolue dans le sens du multiculturalisme sinon elle est destinée à disparaître.
- Faut-il organiser des référendums pour l’élargissement ? Oui, dans le pays candidat, car entrer dans l’UE doit correspondre à une volonté, mais pas dans les pays membres car une vague de mécontentement contre le gouvernement peut faire voter « non » : le vote est l’otage de l’humeur nationale. Le « non » français et néerlandais de 2005 est lié à une incompréhension des enjeux de l’élargissement de 2004 qui ont été mal expliqués et réduits à l’expression de la peur (du plombier polonais…).
- Le processus Europe / Méditerranée : C’est une erreur européenne de ne pas pousser le partenariat. Aujourd’hui, la rive méditerranéenne manque d’épargne, tandis que nous manquons de perspectives d’investissement : il y a là un potentiel de croissance. Il ne s’agit pas d’un élargissement mais d’un partenariat.
• LA POLITIQUE REGIONALE
journaliste : Louis Celot.
C’est plutôt une réussite, un moteur de croissance, pour l’emploi notamment, même si les délocalisations ont mauvaise presse. L’UE est plus solidaire, gagne en cohésion territoriale.
Mais il faut lutter contre la fraude aux Fonds Structurels (comme le souligne l’exemple de la Grèce). Il ne faut aider les pays que lorsque l’on est certains qu’ils luttent contre la corruption (Roumanie/ Bulgarie). Pour l’instant, la lutte se fait trop dans les bureaux et pas assez sur le terrain, pour voir l’utilisation de l’argent. Il faut intensifier l’action anti-fraude, notamment à l’Est.
La politique volontariste dans le domaine des télécommunications (Galileo) et des projets de transports transeuropéens (RTE) permet un rapprochement. L’Europe a besoin de symboles qui prouvent sa réussite, comme l’Eurostar (400 000 Français travaillent à Londres !).
Mais l’argent manque là aussi. Le budget européen est très insuffisant.
• CONCLUSION
L’Europe est un espace de vie en construction, qui se heurte à des échecs, comme en 2005, par manque d’organisation : ce défaut l’empêche de peser réellement sur la scène internationale. Mais l’Europe représente avant tout une volonté d’ouverture importante pour ne pas risquer un repli des « vieilles nations frileuses » qui pourrait s’avérer dangereux.