jeudi 21 juillet 2011

LA POSITION DE L'UE DANS LA MARCHE VERS LA DEMOCRATIE AU MAGHREB.

Article d’information, 26 juin 2011,

par Clémentine Tallet et Johanna Bonheur.


Selon Pierre Vermeren (« Maghreb, la démocratie impossible? »), la démocratie est impossible dans les pays du Maghreb sans l'intégration de l' « islamo-conservatisme » et sans sa participation dans le jeu politique. Il faut que les forces islamistes jouent le jeu de la démocratie et de l'alternance sans violence. Dès 2002, l'historien jugeait cela possible car l'islamisme politique est une forme dominante et qu'au Maghreb, l'électorat islamiste se recrute essentiellement dans les couches moyennes urbaines, plus conservatrices que radicales.

Mais on voit depuis Février 2011 que la personnalisation excessive du pouvoir au Maghreb a atteint peut être remise en cause à partir du moment où le peuple se réveille et aspire à un changement radical et à la démocratie. Il n'y a pas un tyran, un chef suprême qui ne fasse le poids face à un peuple décidé et uni. Ainsi, la Tunisie, le Maroc, l'Egypte ont amorcé leur transition vers un changement politique, vers une répartition des pouvoirs plus proche de la démocratie et les citoyens sont parvenus à faire fuir leurs dirigeants : Ben Ali, président de la Tunisie depuis 22 ans, s'est exilé en Arabie Saoudite et Hosni Moubarak, à la tête de l'Egypte depuis près de 30 ans, a fui au sud du pays. Le roi du Maroc Mohammed VI a annoncé d’importantes réformes constitutionnelles qui doivent mener, à terme, le pays sur la voie d’une monarchie parlementaire.

LA POLITIQUE EXTERIEURE ET DE DEFENSE DE L'UNION EUROPEENNE :

La politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC) favorise particulièrement l'intervention de l’UE à l’étranger, pour des missions humanitaires ou de maintien de la paix, de prévention des conflits. (voir l’article de Benjamin Helman et Arnaud Cornède sur la Défense européenne).

Le 23 Février 2011, à la demande de la Présidence hongroise, le mécanisme de protection civile a été activé pour contrôler les frontières des pays en révolte au Maghreb et pour leur apporter une aide humanitaire, les moyens militaires n'étant pas encore envisagés.

Le 11 Mars, lors du Conseil européen rassemblant les vingt-sept chefs d'Etat et de gouvernement, il a été affirmé que "la sécurité des populations civiles doit être assurée par tous les moyens nécessaires. Les responsables de crimes devront répondre de leurs actes et s'exposent à de graves conséquences". Il est clairement préconisé une intervention directe de l'Union Européenne au Maghreb, armée si nécessaire. Notamment face aux actes jugés « illégitimes » du colonel Mouammar Kadhafi.

Le 13 Mars, La Ligue arabe invite l’ONU à imposer une « zone d’exclusion aérienne ». « Il s'agit de soutenir le peuple libyen dans sa lutte pour la liberté et contre un régime de plus en plus dédaigneux », a affirmé M. Moussa dans son interview à « Der Spiegel ». Après cela, l’Union européenne et les Etats-Unis ont alors évoqué la possibilité d’utiliser « toutes les options » contre le régime de Kadhafi. Les Européens ont tout de fois souligné que toute intervention était conditionnée à "une nécessité démontrée, une base juridique claire et le soutien de la région". (France 24).

Une zone d’exclusion aérienne est imposée en Libye le 17 mars 2011 par l’ONU. L’intervention militaire en Lybie votée le 18 mars peut alors commencer pour l’ONU et l’UE, dans le cadre opérationnel de l’OTAN ; la France est d’ailleurs la première puissance à intervenir, en dépit de l’opposition de l’Allemagne qui reste neutre depuis le traumatisme de la Seconde Guerre Mondiale (ce qui place la diplomatie allemande dans une situation singulière en Europe).

Le mercredi 13 Avril, les ministres des Affaires étrangères du "Groupe de contact" sur la Libye se sont réunis à Doha alors que les affrontements entre partisans et opposants à Mouammar Kadhafi font rage depuis maintenant près de 2 mois.

Les opinions sont maintenant divergentes quant à l'intervention des pays membres de l'OTAN dans le conflit en Libye, alors que le ministre des Affaires étrangères britannique William Hague annonce que "les pressions vont s'intensifier", Berlin ne voit pas de solutions militaire à l'horizon.

Le Conseil National de Transition libyen (CNT), présent pour la première fois à ce sommet, affiche clairement sa demande, soit une assistance militaire occidentale, et a appelé l'OTAN à intensifier ses frappes. Il a également critiqué la lenteur des opérations militaires depuis que l'Alliance Atlantique a pris le contrôle le 31 Mars.

Rome y répond en appelant à armer la rébellion et la France et la Grande-Bretagne ont à coeur de négocier une participation plus importante de l'OTAN aux frappes aériennes. Le Qatar quant à lui prévoit un fond afin de donner au peuple libyen les moyens de se défendre.

Pourtant la Libye est un pays important pour l’Europe. Il possède des ressources énergétiques fondamentales comme le gaz et le pétrole. Son plus grand partenaire est l’Italie. Du coté français, le lien est plus anodin : le nucléaire civil et la vente d’armes. L’instabilité conduit à la rupture des approvisionnements, et un changement de régime mènera probablement à l’annulation des accords en cours. Le problème des migrants va également se poser pour l’Europe. On reproche déjà aux Européens de ne pas avoir pris en comptes ces risques.

Mais le plus important reproche fait à l’encontre de l’intervention de l’ONU

et de l’UE est le fait que certains de leurs tirs atteignent des civils citoyens. Cela pose un grave problème aux tenants de la démocratie : le 1er avril 2011, 9 rebelles et 4 civils sont tués par erreur par une frappe aérienne de l’OTAN. Dans la nuit du 30 avril au 1er mai une frappe aurait tué le fils cadet de Kadhafi ainsi que trois de ces petits-fils…

Aujourd’hui, les rebelles de Libye réclament la somme de 3 milliards de dollars afin de pouvoir se réapprovisionner et continuer le combat.

Ainsi, on constate que la politique de Défense de l’UE dans les pays du Maghreb est indissociable de celle de l’ONU et de la force d’intervention que représente l’OTAN, donc des Etats-Unis.

Mais l’Union européenne n’agit pas que sur le plan militaire : la Banque européenne d'investissement (BEI) a annoncé, le 22 février, le doublement du montant de ses prêts aux pays du sud de la Méditerranée, à environ 6 milliards d'euros pour la période 2011-2013, afin d'aider leur "transition" vers la démocratie. L'objectif de la BEI est de "montrer que l'Europe est capable de réagir très vite" aux bouleversements en cours dans cette région, a précisé son vice-président."Nous voulons être présents tout de suite pour financer maintenant les besoins économiques pour que la désespérance qu'il y a dans la région ne cède pas le pas à une conflagration aussi économique et sociale [...]
"A l'heure actuelle, dans un pays comme la Tunisie, une liberté retrouvée peut permettre d'avoir un taux de croissance accru de 1 ou 2 % de point de PIB par an", a-t-il souligné.

Tunis pourrait bénéficier de près de 1 milliard d'euros de prêts de la BEI dès cette année. Outre la Tunisie, la région Méditerranée recouvre dans le budget de la BEI l'Algérie, l'Egypte, le Maroc, la Jordanie, le Liban, la Syrie, les territoires palestiniens et Israël. La Banque n'a en revanche "jamais été autorisée à agir en Libye", selon son président.

La BEI fonctionne comme un bras financier de l'UE : elle emprunte sur les marchés avec la garantie de l'UE, ce qui lui permet de bénéficier de conditions favorables, et de prêter à son tour les fonds collectés à des taux moins élevés que le marché, dans le cadre de financement de projets spécifiques.

Le 24 juin 2011 un contrat de 163 millions d’euros est en effet signé entre la BEI et la Tunisie, pour soutenir le développement économique, l’emploi et la modernisation routière de la Tunisie. Il s’agit d’un projet d’envergure qui bénéficiera directement aux Tunisiens, axé sur la modernisation et réhabilitation du réseau routier de l’ensemble du territoire tunisien, et sur le développement économique des régions défavorisées de Tunisie, en facilitant leur désenclavement. Cette signature revêt une importance particulière, à plus d’un titre : par son montant – 163 M€, soit 325 millions de dinars tunisiens – il constitue une marque de confiance dans la transition démocratique. Il traduit également la capacité de la BEI, en tant que premier investisseur en Méditerranée, à conduire une action rapide, concrète et efficace, mobilisant à cette fin son expertise technique et financière, pour aider la Tunisie dans sa transition démocratique, économique et sociale, et améliorer les conditions de vie quotidienne des Tunisiens.

Ce premier financement est une réponse concrète de la BEI aux aspirations du « Printemps arabe ». Elle s’inscrit dans le sillage de la mobilisation européenne et internationale du G8 de Deauville et de l’engagement réaffirmé de la BEI de soutenir les pays méditerranéens en transition, pays confrontés à un taux de chômage élevé.

D’autres implications concrètes de la BEI suivront cette signature, conformément aux engagements de la BEI du 3 mars 2011, centrées sur l’aide aux PME, le développement du micro-crédit, l’emploi et l’industrie avec un nouveau financement pour le Groupe chimique.

Après Tunis, le prochain rendez-vous de l’Après Deauville sera Bruxelles, le 12 juillet 2011, avec la FEMIP, réunion annuelle réunissant les Ministres des Finances des pays méditerranéens. Au programme de cette réunion, la stratégie et l’action concrète de la BEI en Méditerranée d’ici à 2013.

--------------------

Sur le plan politique, l’UE se place donc résolument du côté des partisans de la lutte contre les régimes autoritaires, si ceux-ci mettent en péril, de manière flagrante, la survie des populations civiles. Si on parlait il y a quelques années de « devoir d’ingérence humanitaire », on peut se demander aujourd’hui si ce ne sont pas les valeurs même de l’Union européenne que celle-ci défend à l’étranger, c’est-à-dire et en premier lieu les valeurs démocratiques incluant la sécurité, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et l’égalité civile.

Mais l’Union européenne a-t-elle une légitimité à vouloir exporter ses propres valeurs hors de ses frontières, dans le monde complexe et multipolaire d’aujourd’hui ??