lundi 28 mars 2011

L’«Affaire des Roms» en France :

sur quelles valeurs sommes-nous d’accord en Europe?

Point de vue, par Benjamin Duhamel, 23 mars 2011.

L'Europe, aujourd'hui, vit une véritable crise de valeurs.

Dernièrement, la loi limitant la liberté de la presse en Hongrie, qui assure la présidence tournante de l'UE, a encore nourri le débat sur les valeurs libérales servant de socle à l'Union Européenne (rappel : cette loi a été largement amendée à la demande de la Commission).

L' « affaire des Roms » n'est plus d'actualité ; ayant fait un ramdam incroyable à l'époque, elle a laissé place à d'autres crises politiques, qui elles-mêmes laisseront place à d'autres. Cependant, en jugeant faible la réaction de l'Union Européenne face aux révolutions arabes, (voir l’article à venir de Johanna Bonheur et Clémentine Tallet à ce sujet) plus concernée par les possibles vagues d'immigration que par la formidable espérance que pouvaient susciter ces soulèvements populaires, il m'a paru important de faire le point sur cette « affaire » que tout le monde a déjà oubliée. En totale négation avec les valeurs européennes, des personnes, stigmatisées comme étant des Roms avant d'être des Européens, ont subi humiliations après humiliations, et ont été traités indignement par la France. Plus que leur comportement sur le territoire, qui peut être discutable, c'est le fait de les avoir ériger comme boucs- émissaires qui pose problème. Mais revenons sur les faits.

Il est d'abord nécessaire de rappeler deux choses ; la Roumanie et la Bulgarie, les deux pays où la population Rom est la plus importante, font partie de l'Union Européenne, sans appartenir toutefois à l'espace Schengen, notamment parce que l’Etat français s’y oppose.

L' « affaire des Roms » commence le 30 juillet 2010, date du discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy. Dans ce discours, le Président de la République, en réaction à des actes criminels à l'encontre de policiers, fait clairement le lien entre délinquance et immigration ; il profite de cette mise au point sécuritaire pour pointer du doigt les campements illégaux de Roms et leur situation irrégulière. A la suite de ce discours, il donne l'ordre au ministre de l'Intérieur et aux préfets de démanteler au plus vite ces camps. Le 5 août, une circulaire ministérielle est alors publiée ; elle désigne la minorité des Roms, et donne des consignes strictes concernant le traitement de cette même minorité. Un véritable problème se pose : cette circulaire nomme explicitement un groupe de population en faisant référence à son appartenance ethnique, et ordonne la fermeté la plus totale pour le démantèlement des camps. Il est parfaitement illégal de nommer une minorité en tant que telle ; le Commission européenne considère cette circulaire comme une preuve de la stigmatisation de la communauté, donc de discrimination raciale.

Au moment où cette circulaire paraît, l' « affaire des Roms » devient une affaire européenne ; l'espace de Liberté, de la Justice et de Sécurité a pour rôle de garantir la liberté de circulation en Europe, et dans ce cas présent, Vivianne Reding, Commissaire européenne chargée de ce domaine de compétences, considère cette circulaire comme discriminatoire. Selon la législation européenne, aucun ressortissant d'un pays de l'Union Européenne ne peut être expulsé sans un examen précis (au cas par cas) de la situation dans laquelle il se trouve, procédure non respectée dans certains renvois de Roms par les autorités françaises. Bruxelles, par le biais de la Commissaire européenne, lance alors une double procédure d'infraction, concernant les deux motifs évoqués ci-dessus. Malgré une campagne de communication de l'Élysée pour annoncer que ces procédures sont annulées, elles ne sont que "mises en attente" par la Commission européenne.

On voit donc, à travers cette histoire, un véritable problème se poser ; comment traiter les minorités en Europe (voir article à paraître à ce sujet de Maud Rioux), même si des personnes sont en situation irrégulière, alors qu’elles sont membres de l'Union Européenne ?

Il est indéniable que la France n'a pas respecté la législation européenne, ni même ses propres lois (voir le Préambule de 1946 rappelant le rejet de toute discrimination) en citant explicitement la minorité visée, et en renvoyant sans suivre la procédure des groupes de personnes, parce que « Roms », hors de France. Il aurait fallu, pour la France, se débarrasser des clichés sur les Roms, pour traiter la question policière et migratoire de manière individuelle, sans céder à des raccourcis faciles.

L'entrée dans l'espace Schengen de la Roumanie et de la Bulgarie, qui devait avoir lieu en mars, a été repoussée sine die. L'avenir des Roms ne semble pas encore dégagé.

Cette affaire est donc, pour l'instant, mise en attente. J'ai remarqué, en parlant avec quelques personnes, qu’il existe un assez grand mépris envers cette communauté, qui "vole les gens dans le métro". Certes, on peut parfois assister à des actes de vandalisme ; mais les Roms ne sont pas les seuls fautifs : ils ont peu de chance de s’intégrer dans une société individualiste et moderne. Et tous les Roms ne peuvent être qualifiés de voleurs sans faire un sophisme facile. Plus que leur présence sur le territoire, c'est ce qu'ils représentent que la France a voulu combattre : on a préféré les renvoyer, en les instrumentalisant, plutôt que de respecter la législation européenne qui interdit un renvoi groupé sans preuve de situation irrégulière.

La crise de l’Europe, de ses valeurs, de l’attachement qu’on lui porte, est aujourd’hui au centre de tous les discours d'extrême-droite, qui mettent en avant l'inutilité de l'Union Européenne, et affirment leur hostilité à l'Europe. Ce que je qualifie d’ « Affaire des Roms » comme on a pu parler de l’ « Affaire Dreyfus » renforce évidemment ce sentiment d'inanité.

Avant de penser à un budget, à une gouvernance économique ou à une harmonisation de la fiscalité, c'est avant toute chose les valeurs qu'il faut réaffirmer. Ces valeurs fondatrices, acquises avec tant de difficultés (jusqu’à la négation des droits de l’Homme pendant la Seconde guerre mondiale), c'est elles qui permettront aux peuples de croire en l'Europe, et en l'Union Européenne.

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