La montée de l'extrême droite en Europe
par Silvia ROCHET
Article d’analyse, 10 décembre 2010
5,7 %. L'entrée au Parlement Suédois du SD, parti d'extrême-droite, qui pour la première fois dans l'histoire a passé la barre des 4 % requis, n'a fait, le 19 septembre dernier, que confirmer l'essor des partis populistes et extrémistes en Europe ces dernières années.
Mais peut-on tous les résumer à cette appellation d'extrême-droite, alors qu'eux-mêmes la refusent parfois ? Marine Le Pen disait le 9 décembre sur le plateau d'"A vous de juger" qu'elle n'aimait pas ce nom d' "extrême droite" et préférait le terme de "parti populiste" pour désigner le Front National.
D'où la question, qu'est ce qu'un extrémisme ? Pour l’historien René Rémond, l'extrémisme est à la fois "une position sur l'échiquier politique" et "un concept qui se charge d'un second sens, et s'oppose à la modération", l'intransigeance en quelque sorte ; l'intransigeance dans l'adhésion à leur système de pensée et l'expression de leurs idées, l'assurance de leurs certitudes, ce sont les diverses caractéristiques données par ceux qui tentent de définir l'extrémisme, qu'il soit de droite ou de gauche. Ce qui explique le nom de "droite dure" ou "droite radicale" qui leur est parfois attribué.
Magali Balent, docteur en relations internationales, a écrit le 12 juillet 2010 pour la Fondation Robert Schuman un article répondant en grande partie aux questions qui se posent aujourd'hui sur la progression montante de l'extrême droite, qu'elle désigne clairement comme un "extrémisme identitaire". Dans son introduction, elle conserve comme définition celle de Pierre-André Taguieff qui désigne l'extrémisme de droite comme "le nationalisme xénophobe à base ethnique, fondé sur le principe du déterminisme biologico-racial ou historico-culturel".
S'il est tentant de considérer la vague contemporaine de radicalisme de droite comme une version du néo-fascisme, il faudrait d'abord comprendre ce qui est entendu par "fascisme" dans ce cas là, aux vues des récentes évolutions dans son analyse : du point de vue de Roger Griffin et d’Anthony James Gregor, historiens et politologues spécialistes du fascisme, celui-ci est à envisager avant tout comme une forme de nationalisme radical. Le fascisme constitue "une réponse, au déclin et à la vulnérabilité de la nation dans un environnement international hautement compétitif perçu comme intrinsèquement inéquitable, et à l'incapacité apparente de l'élite établie à faire progresser la position de puissance du pays".
Il existe de façon incontestée au sein de l'extrême droite européenne, certains groupes comme Combat 18 en Grande-Bretagne, Forza Nuova en Italie, ainsi que des factions aux marges de certains partis tels que le NPD en Allemagne ou le Mouvement social tricolore en Italie, pour ne citer qu'eux, qui partagent l'hostilité du fascisme envers le libéralisme, le pluralisme et la démocratie ; cependant ces groupes ne constituent qu'une minorité restreinte si on les compare à l'ensemble des partis de la droite radicale, à l'extrême droite "électorale". Les partis et mouvements les plus prisés aujourd’hui ont abandonné une grande partie de l'héritage idéologique de la droite extrémiste et fasciste traditionnelle au profit d'une stratégie opportuniste, versatile et essentiellement tournée vers une problématique, qui mélange radicalisme verbal, politique symbolique et marketing politique moderne, et sont souvent dirigés par des personnages charismatiques, sachant convaincre par leur personnalité et leurs discours un nombre grandissant d'électeurs dans toute l'Europe.
A cette carte, présentée dans un article sur france-info.com daté du 20 septembre 2010, on peut ajouter que, si les informations divergent parfois, le score du BNP (British National Party), entré avec 6.5% des voix au Parlement Européen, démontre son imposition dans le paysage politique britannique. Et si le parti flamand d'extrême droite Vlaams Belang a connu une forte érosion de ses scores aux dernières législatives, due à la montée du parti séparatiste N-VA, aux législatives de 2007 il représentait encore 19% des voix.
En Italie et au Danemark, l’extrême-droite a franchi un pas de plus en entrant au gouvernement. Roberto Maroni, le ministre italien de l’Intérieur, est membre de la Ligue du Nord. Au Danemark, l’alliance entre le Parti du Peuple Danois et les libéraux-conservateurs dure depuis 2007.
On peut également considérer les scores de l'extrême-droite en Norvège, où lors des élections législatives de septembre 2009, le Parti du Progrès a obtenu 22,9% des suffrages, ce qui en fait le deuxième parti norvégien, pour la deuxième fois consécutive, et en Suisse, où l’Union démocratique du centre (UDC), qui dénonce sans relâche l'immigration et "l'islamisation du pays", est le premier parti, avec 28,9 % des suffrages obtenus aux élections de 2007, et où le vote par référendum « anti- minarets » a crée de nombreux retentissements partout en Europe.
Pour comprendre les ressorts de cette extrême droite et se rendre compte que sa percée récente ne doit pas être interprétée comme un phénomène éphémère, uniquement lié à la situation socio-économique actuelle et destiné à disparaître à la fin de la crise, le mieux serait de lire cet article, où Magali Balent prévoyait déjà le scrutin des dernières élections suédoises en écrivant : "En Suède, le parti SD, qui pourrait faire son entrée au Parlement en septembre....": http://www.robert-schuman.eu/question_europe.php?num=qe-177
Selon elle, les motivations socio-économiques ne peuvent justifier à elles seules la situation actuelle ; malgré le fait qu'il ne soit pas contestable qu'une période de crise entraîne en réaction, un" réflexe" de repli sur soi avec ses conséquences, ce n'est pas suffisant pour expliquer la persistance de l'extrême droite depuis les années 80 (elle donne les exemples de la Suisse, des Pays-Bas...). La persistance et la montée du "phénomène d'extrême droite" serait donc davantage le reflet d'une crise identitaire et de la transformation de la population européenne, plutôt que celui d'une crise purement économique. L'homme européen traverserait une phase de crise, crise face à la modernisation et à la mondialisation, où il serait "menacé dans son identité et sa traditionnelle domination du monde" (Erwan Lecoeur, Dictionnaire de l'extrême droite). Dans un monde ébranlé par la mondialisation et la montée de géants comme l'Inde et la Chine, mais aussi le Brésil, l'Indonésie, des Etats qui remplaceront bientôt la "vieille Europe" sur l'échelle des puissances économiques mondiales, le repli national deviendra-t-il bientôt une évidence et une normalité ?
L'article continue à propos de l'adaptation des droites modérées, qui tentent parfois de façon évidente de récupérer une partie de cet électorat radical grandissant en développant les thématiques phares des partis populistes (l'immigration, la sécurité, l'identité nationale..), ce qui traduit leur "banalisation" dans l’opinion publique. Face au modèle de "société ouverte", en faveur de la mondialisation et la construction européenne, se développe aujourd'hui un modèle de "société fermée" prôné par l'extrême-droite, qui considère que" seule l'homogénéité ethnique des nations garantit leur survie et leur coexistence".
L'essence même du discours des partis d'extrême droite repose sur la conservation de l'identité nationale, menacée de l'intérieur et de l'extérieur, sur ce "nationalisme identitaire" qui les aveugle, les contraint à avoir peur du métissage, du mélange des populations. Pour eux, l'identité est immuable, héritée, ne se construit pas, s'affermit dans l'opposition aux autres nationalités, mais ne subit aucune évolution. De quel faute sont coupables les immigrés ? De vouloir imposer leur propre identité, au mépris de la culture du pays où ils immigrent, d'exister en somme, dans ce pays "d'accueil" où le "bon immigré" est celui qui se fond dans la masse, qui ne se voit pas. Cette idéologie est fondée sur "une vision ethnique et non politique (ou civique) de la nation, qui valorise l'ascendance commune des individus, façonnant leur identité culturelle et déterminant leur façon d'être". Est-ce que l'identité peut être réduite à une origine commune, alors que près d'un tiers des Français ont au moins un arrière grand parent immigré, que l'Europe ne peut pas imaginer un avenir sans immigration, à cause du vieillissement de sa population? La plupart des pays européens sont devenus des terres d'immigration depuis la Seconde Guerre Mondiale ; de plus, selon l'ONU, en l'absence de migrations, dans les cinquante ans à venir, l'Union européenne verrait sa population diminuer de 43 millions, soit 11%. Pour éviter cela elle aurait donc besoin de 47 millions d'immigrants, soit presque un million par an, ce qui correspond pratiquement à la situation actuelle... Pourra-t-on alors encore parler d'ascendance commune ?
L'article se poursuit sur le discours islamophobe, développé depuis les dernières années par les partis d'extrême droite. Les exemples sont nombreux et connus : la votation contre la construction de minarets en Suisse, qui en compte 4 au total sur l'ensemble de son territoire ;
la loi contre le voile intégral en France (malgré le fait que cette loi touche à une question beaucoup plus large et complexe: la conception de la laïcité en France) a eu de nombreux échos, notamment aux Pays-Bas où une loi similaire devrait être présentée bientôt par PVV de Geert Wilders, lequel compare le Coran à Mein Kampf, est auteur de "Fitna" un film anti-islam et a été jugé pour "incitation à la haine raciale" en janvier 2010 ; le jeu gratuit lancé sur le Net par le FPÖ autrichien, dont le but est simple : tirer sur le plus possible de minarets.
Affiches de l'UDC (Suisse) et du BNP (Royaume-Uni).
Pour le politologue Jean-Yves Camus, ces formations "centrent leur discours sur la dénonciation de la société multiculturelle en général et de l'immigration musulmane en particulier", et, en parlant des élections en Suède, il déclarait que le vote relevait de la souffrance sociale, qu'il a été "un vote classique de protestation, qui choisit un bouc émissaire, le dernier arrivé, celui dont les codes culturels sont les plus différents".
Comment l'entrée de la Turquie, et même des Etats balkaniques dans l'Union Européenne pourrait-elle se faire dans une Europe où la xénophobie à dominante culturelle se répand chaque jour un peu plus ?
"L'Union Européenne peine à apporter des réponses satisfaisantes, hésitante dans la définition de son identité et de ses valeurs culturelles". Tout le problème est posé. Dans sa dernière partie, Magali Balent traite de la vision de l'Europe, par les partis d'extrême droite, très bien résumée par le slogan du programme européen du BNP : "The BNP loves Europe but hates the EU". En effet, les partis populistes, bien loin de détester l'Europe, la considère comme un cadre de même civilisation, attaché à l'héritage de l'antiquité et de la chrétienté. Elle n'est pas qu'un simple espace de coopération et de solidarité mais justifie pour eux "l'impossible intégration des peuples non-européens". Elle a donc essentiellement une fonction instrumentale pour l'extrême droite, elle représente une frontière supplémentaire, un "bouclier" pour la" préservation des indépendances et des identités nationales", et ne pourrait exister pour eux qu'en tant qu'"Europe des Nations" qui garantirait leur souveraineté et ferait valoir l'expression de la puissance nationale et son exaltation. Tout projet supranational est donc discrédité par ces partis, où l'Union Européenne, "cheval de Troie du mondialisme" selon Jean-Marie Le Pen, est perçue comme affaiblissant les états, les privant de leurs droits.
L'auteur conclut sur le fait que cette actuelle montée de l'extrême droite en Europe serait le reflet de l'incapacité de l'Europe à définir la finalité de sa construction et son identité propre. Il faudrait qu'elle soit capable de remettre en question ses limites et son identité, "afin de prouver sa singularité et ainsi contredire ceux qui l'accusent d'être aux ordres d'un projet d'uniformisation des cultures et des identités à l'échelle mondiale." "Elle gagnera aussi à étendre ses compétences en matière de sécurité et de défense communes, pour mieux satisfaire ce besoin de sécurité des citoyens européens, dont l'extrémisme identitaire l'estime pour le moment incapable".
L'Union Européenne restera un acteur de seconde zone, une puissance modérée aujourd'hui face aux Etats-Unis, et aux BRIC (Pays Emergents) tant qu'elle n'aura pas mis en place une réelle politique extérieure commune (bien que le poste tenu par Catherine Ashton, en tant que Haut Représentant de l'Union Européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ait été crée : voir l’article de Benjamin Helman et Arnaud Cornède au sujet de la Défense européenne). Elle continuera à risquer son démantèlement, et enchaînera les propositions d'abandon de l'euro, comme celles de Roberto Maroni et des Le Pen, tant qu'elle n'aura pas de gouvernance commune de l'économie. Devra-t-elle aussi continuer à voir l'extrême droite monter, tant qu'elle n'aura pas comblé, par la mise en place d'une défense commune, ce besoin de sécurité de ses citoyens, terrifiés par la mondialisation, les menaces terroristes et la prise de conscience de leur impuissance ?
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A quoi sert l'Union Européenne aujourd'hui, si sa finalité première en 1957, où on envisageait l'U.E dans une perspective fédérale, s'est définitivement perdue au cours du temps, pour ne considérer maintenant plus que son aspect économique, de la voir uniquement comme une zone de libre-échange ?
Comment pouvons-nous simplement imaginer une Union Européenne unie, alors qu'il y a clairement une "absence de relations affectives" entre ses citoyens et elle ?
Il est en effet inutile de chercher vainement à ignorer les faits. Nous (au club Europe) pouvons peut-être affirmer notre différence mais aujourd'hui, sur les plus de 500 millions de personnes qui vivent sur son sol, combien peuvent dire qu'ils se sentent européens ?
Un sondage de TNS–Sofres du 4 septembre 2008 estime à 38 % le nombre de Français qui affirment se sentir à la fois français et européens, autant dire très peu, alors que la France est un des pays fondateurs de l'Union Européenne, ce qui laisse imaginer les scores pour les nouveaux entrés en 2007...
C'est sur le malaise de la société que prospère aujourd'hui l'extrême droite, parce que les démocraties capitalistes avancées sont aujourd'hui en proie à une peur généralisée de voir leur relative sécurité matérielle céder à une nouvelle période de "prospérité précaire", selon le mot de S. Willeke et A. Fink, et à l'inquiétude de voir "les acquis remis en question". La force électorale de la droite populiste exprime au moins en partie les anxiétés suscitées par les profonds changements structurels engendrés par la mondialisation, qui est perçue à la fois comme une menace, mais aussi inévitable pour la prospérité économique ; cependant la mondialisation a intensifié les tendances existantes à la désindustrialisation et accéléré le retour à une sélection fondée sur les compétences, d'où une augmentation de l'inégalité des revenus et le changement de la demande de compétences. Combinée à l'individualisation de la société, ces deux éléments exercent des pressions psychologiques considérables sur les individus, et que tous ne sont pas capables, ou désireux de les subir.
La population européenne a, selon les sondages, peu (ou pas du tout) confiance en l'avenir de l'emploi, des salaires, du coût de la vie, du système de retraites... Les exemples sont nombreux et la hausse du chômage, le déclin de la sécurité de l'emploi contribuent au scepticisme croissant, et suggère que les succès récents des partis de la droite radicale sont d'abord une expression de mécontentement des populations vis à vis des partis politiques établis : la montée du populisme constitue un des effets d'un malaise profond de la culture politique dans les démocraties européennes avancées , et est renforcée par un autre de ces effets, la montée de l'absentéisme et du recours aux bulletins blancs ou nuls.
Le fait qu’une proportion croissante de la population européenne soit favorable à cette solution politique où une personnalité faisant figure de "l'homme fort" capable d'endosser la responsabilité de ses actes et de ses paroles, comme veulent le montrer Geert Wilders aux Pays-Bas, Jimmie Âkesson en Suède, Jean-Marie Le Pen en France et Umberto Bossi en Italie du Nord, est lié à la forte augmentation du sentiment d'insécurité en Europe. Ce sentiment d'insécurité peut se traduire, concrètement, par un phénomène qui apparaît en Hongrie et en Italie, les milices. Celles-ci, dont le souvenir reste fortement attaché à des pages récentes de l'histoire commune des Européens, foulent de nouveau des territoires que la crise économique, sociale et identitaire terrifie.
* "La Hongrie appartient aux Hongrois. Le Jobbik, ce sont des paroles transformées en actions", affirmait juste avant les élections le chef du parti, Gábor Vona, où le Jobbik a finalement obtenu plu de 16% des voix.
Et c’est à la Garde hongroise, la Magyar Gárda, une milice paramilitaire étroitement liée au parti, créée le 25 août 2007, que revient l’exécution des actions concrètes. Ses membres défilent dans des uniformes noirs qui rappellent ceux des fascistes hongrois dans les années 1940 et organisent des manifestations contre les Roms. Le Jobbik imagine une submersion du pays par les «étrangers» et dénonce obsessionnellement les ennemis de l’intérieur, les «asociaux», en premier lieu les Roms et les Juifs, qui menacent l’identité de la nation. Ce sont les caractéristiques même du nazisme et du totalitarisme. La haine des Roms est devenue pour le Jobbik un thème mobilisateur de campagne. Ils représentent aujourd’hui environ 10% de la population, mais du fait d’un taux de natalité élevé, pourraient, selon les prévisions, atteindre 20% de la population d’ici 2050, chiffres exploités abondamment. La Hongrie, dans un contexte de plus en plus tendu, voit depuis plusieurs années les agressions se multiplier : jet de cocktails Molotov contre des maisons roms, symboles nazis tracés sur les murs, voire assassinats perpétrés à froid, de nuit, contre des habitants des quartiers roms. Six meurtres au moins semblent avoir eu lieu au cours d’une cinquantaine de ces expéditions punitives conduites au cours des deux dernières années.
Militants de la Garde Hongroise lors d’une manifestation du parti Jobbik à Budapest, en août 2007
Si, selon un article d'Ivana Kottasová dans « Respekt », la police a admis que parmi ces attaques, certaines avaient été organisées par la Garde hongroise, la nouvelle eurodéputée du parti Jobbik, Krisztina Morvai, a quant à elle laissé entendre que les Roms s’entretuaient en Hongrie. Si l’initiative du Jobbik a suscité les protestations de la classe politique, il s’est trouvé de nombreux représentants du parti conservateur refusant de stigmatiser la Garde Hongroise, considérée comme « une association identitaire qui insiste sur la préservation des identités historiques, du christianisme et de la culture hongroise ».
* Si la Hongrie a sa milice, l’Italie, berceau du fascisme, lui emboîte le pas, et multiplie la création de milices présentées comme des « associations de volontaires pour une veille citoyenne » par leurs promoteurs, dont certains s'assimilent ouvertement avec le néofascisme.
Le 20 février 2009, le gouvernement de Silvio Berlusconi a légitimé par l'adoption d'un décret-loi sur les "rondes de citoyens" pour lutter contre la criminalité. Les premières étaient les gardes padanes (Guardia Nazionale Padana), dans cette création identitaire galvaudée que La Ligue du Nord appelle la « Padanie », en référence au fleuve Pô. Depuis 2006, la Ligue du Nord voulait instaurer ces milices "pour un service de repérage et de prévention" : ils portent des chemises vertes et sont directement sous les ordres du leader Umberto Bossi.
Depuis, un peu partout en Italie, surtout dans le nord et le centre, on assiste à une éclosion de comités pour la sécurité. À Iesolo, près de Florence, ces milices ont pris pour prétexte la lutte contre la prostitution de rue. A Modène, Gênes, Vérone, qui est une plaque tournante de la drogue, Trévise, Assise, Lodi et Bergame, Bolzano, Florence : on ne compte plus les villes où elles se sont propagées. Blue Berets et City Angels à Milan, ou plus classiquement, "Volontaires pour la sécurité publique", ces organisations, dont on ne connaît pas bien ni l'origine précise, ni la finalité, sont devenues désormais une normalité dans le paysage. Elles semblent donner un sentiment de sécurité à cette population qui considère que la police d'Etat n'est plus en mesure de garantir la protection des citoyens, et suscite en même temps les inquiétudes et les questionnements d'une certaine part de l'opinion publique, plus sensible à l'essence de la démocratie et aux liens avec l'histoire italienne, laquelle a connu le fascisme, les "chemises noires", et les rondes justement.
"Ronde de nuit" en Italie
"Volontaires de la sécurité" en Italie
Pour conclure….. La peur, l'insécurité... La droite populiste se sert de la question de la sécurité, et de celle de l'immigration comme d'une arme contre l'establishment politique et intellectuel. Elle a réussi à structurer et à formuler les revendications politiques de façon à faire appel à la rancœur populaire suscitée par des sentiments d'injustice et de crainte et à la diriger contre une série de bouc-émissaires, l'Etat, les immigrés. Elle se veut la garante de la vraie démocratie, celle qui représente vraiment la "voix du peuple" face à l'élite qu'elle veut délégitimer. Stratégie qui s'avère des plus efficaces, notamment parce qu'elle fait écho, pour Hans-Georg Betz (La droite populiste en Europe - Extrême et démocrate ?), "à des courants socioculturels plus larges, tels que la remise en question et la critique de la modernité, de l'autorité.."
Une situation qui se développe en parallèle s'impose à moi, ce que Raffaele Simone a parfaitement décrit dans son essai Le Monstre doux. L'occident vire-t-il à droite ?, paru en septembre 2010. Ou pour résumer, comment une nouvelle droite a su s'adapter à notre époque, comment la société occidentale s'est transformée pour devenir ce qu'elle est aujourd'hui, individualiste, médiatique et pressée, où les seuls besoins de l'individu tournent autour de la consommation, du divertissement et du culte de la jeunesse, et ce depuis les années 80. Etrangement, cela correspond à la période où l'extrême droite a commencé à se relever.
La droite populiste radicale, avec son attachement à un nationalisme ethnocentrique et à un repli culturel, avance une idée claire de l'identité européenne, fondée sur la vision d'une société fermée se protégeant des dangers de la mondialisation. Son programme et son idéologie sont le reflet des appréhensions causées par les évolutions sociétales qui échappent au contrôle de l'individu. Fondée sur l'exclusion, cette idéologie est diamétralement opposée aux fondements moraux d'une communauté européenne en construction, basés sur le nationalisme juridique, l'entraide et la solidarité, le rapprochement des peuples et des cultures. Cette même communauté européenne qui repose sur les accomplissements des expériences historiques de l'Europe mais aussi sur le souvenir des pages les plus noires de son histoire ; c'est surtout ce souvenir qui devrait constituer ce sentiment d'appartenance à un grand ensemble, où tous pourraient enfin s’affirmer "Unis dans la diversité".
Peut-on y voir une utopie ? Cela le restera, du moins aussi longtemps qu'il n'y aura personne pour défendre une société européenne ouverte et tolérante et trouver un remède efficace aux anxiétés qui conduisent aujourd'hui un grand nombre d'électeurs à placer leurs espoirs dans l'extrême droite européenne.