jeudi 21 avril 2011

LES MINORITÉS

NATIONALES AU SEIN DE

L’UNION EUROPÉENNE

Article d’analyse, par Maude Rioux, le 4 avril 2011.

L’Europe ne regroupe pas seulement des États constitués, elle est également composée d’une multitude de petites nations qui font partie intégrante de son patrimoine culturel. Ces nations sans État sont des minorités nationales dans un pays souvent administré et dirigé par une nation majoritaire. Elles sont souvent menacées d’assimilation, et leur culture et langue, de disparition. Les États européens doivent être sensibles à cette situation et protéger des minorités nationales qui témoignent de l’histoire et du pluralisme de l’Europe. Nous verrons quelle place l’Union Européenne donne à ces minorités nationales.

Les situations sont très différentes selon les nations. Deux réalités se distinguent en Europe. Certaines nations minoritaires se regroupent dans une région, sans avoir aucun territoire indépendant. C’est le cas des Basques, des Corses, ou des Écossais. Ces nations sont isolées et seules à conserver leur langue dans le monde. D’autres nations étaient minoritaires dans un État, mais ont pu former un autre État indépendant, souvent voisin, et les hasards de l’Histoire ont séparé ces minorités qui appartiennent pourtant à la même culture. C’est le cas de la minorité hongroise en Slovaquie ou de la minorité allemande en République Tchèque. La langue et la culture de ces minorités ne sont pas menacées au niveau mondial car un État en garantit la préservation, mais elles doivent lutter pour leurs droits au sein de la nation majoritaire de leur pays.

Il faut aussi mentionner l’exception des Tziganes. Ceux-ci ne possèdent pas d’État indépendant et leur dispersion sur tout le continent européen en fait une minorité dans presque tous les pays européens (entre 10 et 12 millions de personne réparties sur tout le territoire). De plus ils ne forment pas une communauté unique, mais se subdivisent en différents groupes bien distincts les uns des autres et situés dans différentes régions européennes : les Gitans (en Espagne et au Sud de la France), les Roms (en Europe de l’Est), les Manouches (en Europe de l’Ouest). Leur langue, essentiellement orale, le romani, n’a aucun statut officiel alors qu’elle est parlée par des millions de personnes. L’Union Européenne devrait essayer de combler ce manque de reconnaissance d’un peuple qui est le seul à véritablement couvrir tout le continent qu’elle prétend unir.

La question de la langue est fondamentale pour les minorités nationales. La communauté linguistique marque l’appartenance à une nation et la disparition de la langue dans le domaine public et privé signe souvent l’assimilation d’une culture, l’acculturation définitive. Les langues minoritaires doivent donc être préservées et mises en valeur pour sauvegarder la diversité du patrimoine culturel européen. Pour cela il est nécessaire que la langue en question soit présente dans l’administration et enseignée aux générations suivantes.

Les minorités nationales parviennent parfois à se doter d’une institution politique. Cette institution permet à la minorité d’établir une administration dans sa langue et de contrôler la législation dans les domaines de compétences accordés par le gouvernement central qui contrôle toujours l’ensemble du territoire. On aboutit parfois à une fédération dans laquelle les régions ont une grande liberté dans de nombreux domaines. Pensons à l’Espagne, à l’intérieur de laquelle les Catalans, par exemple, ont obtenu en 1980, après la dictature franquiste, la création d’un gouvernement autonome de Catalogne, la Generalitat, qui peut défendre le catalan par des lois comme celle de la normalisation linguistique. En Espagne, la Catalogne et le Pays basque sont les deux Communautés autonomes qui ont le plus de pouvoirs, même le droit de voter des impôts : ce sont presque de véritables états au sein de l'Etat fédéral. Au Royaume-Uni, depuis la loi de Dévolution de 1998, l’Écosse possède un Parlement élu depuis mai 1999, et est considérée « nation de plein droit » (Harold Wilson, ancien Premier ministre du Royaume-Uni).

Les minorités nationales tentent également d’être représentées politiquement dans les institutions du gouvernement central de l’État fédéral. Se forment alors des partis politiques qui doivent les défendre et faire entendre leur voix sur la politique de l’État dont elles font parties. Ces marques d’autonomie peuvent aboutir pour certaines nations à une indépendance dans la mesure où elle est souhaitée par la majorité de la population minoritaire comme en Slovénie lors du référendum du 23 décembre 1990 (gagné à 88,2% des voix). Mais il s’agissait là des conséquences de la chute du communisme et du début de la dislocation de la Yougoslavie. Le cas kosovar est plus récent, emblématique, et violent : les Albanais du Kosovo, région du sud de la Serbie, n’avaient aucun droit et étaient victimes de discriminations; les frappes de l’OTAN de 1999 ont fait cesser les massacres perpétués par Milosevic. Le Kosovo s’est finalement déclaré indépendant en 2008. Se pose maintenant le problème de la viabilité d’un État si petit et isolé, sans atout économique particulier.

Toutes ces minorités nationales voient en l’Europe une possibilité de faire entendre leur voix sur le plan international et de se démarquer de la nation majoritaire. C’est le cas, par exemple, de l’Écosse qui saisit toute possibilité pour s’affirmer face à l’Angleterre (les Anglais forment 84% de la population britannique, les Écossais seulement 8%).

L’Union Européenne offre une tribune à ces minorités nationales dans le cadre du Comité des Régions. Cette assemblée politique fait entendre la voix des collectivités régionales et locales lors de l’élaboration des politiques et de la législation communautaire. Elle a un rôle de consultation : les traités obligent la Commission, le Parlement et le Conseil européens à lui demander son avis pour toute nouvelle proposition touchant l’échelon régional ou local.

Le rôle du Comité des Régions a été renforcé au long du processus législatif par le récent Traité de Lisbonne. Il intervient à un stade très précoce lors de la phase pré-législative. Une deuxième consultation intervient après que la Commission a présenté la proposition législative si elle touche un des domaines stratégiques touchant directement les collectivités territoriales. Le Traité de Maastricht en définit cinq : la cohésion économique et sociale, les réseaux d’infrastructures transeuropéennes, la santé, l’éducation et la culture. Le Traité d’Amsterdam en introduit cinq autres : la politique de l’emploi, la politique sociale, l’environnement, la formation professionnelle et les transports. Enfin, le Traité de Lisbonne ajoute quatre autres domaines pour lesquels le Comité des Régions doit être consulté : la protection civile, le changement climatique, l’énergie et les services d’intérêt général. Le Parlement européen doit consulter le Comité qui peut formuler des observations sur des amendements possibles dans la proposition de législation. Le Comité peut interroger la Commission, le Parlement et le Conseil s’ils ne tiennent pas compte de son avis. Il peut également demander à être consulté une seconde fois si la proposition initiale est profondément modifiée lors de son passage dans les autres institutions européennes. Il est aussi habilité à saisir la Cour européenne de justice.

La création en 1994 du Comité des Régions s’inscrit dans un désir d’impliquer les représentants des collectivités locales et régionales dans l’élaboration des lois de l’Union Européenne et de faire en sorte que les citoyens ne soient pas laissés à l’écart de sa construction. Le Comité doit permettre de garder le contact avec les citoyens. Ainsi ses 344 membres sont choisis parmi les élus régionaux et travaillent au quotidien dans leur région. Le Comité offre une possibilité aux minorités nationales d’influencer le processus législatif européen et de faire entendre leurs voix au niveau international.

En dehors du Comité des Régions, l’Union européenne n’a pas le pouvoir d’imposer aux États membres une politique de valorisation des minorités nationales, elle ne peut que conseiller et intervenir en cas de manquement très grave aux droits de l’homme.

Cependant une autre organisation européenne agit en faveur de la préservation des minorités nationales : le Conseil de l’Europe. Celui-ci a une réelle volonté de valoriser la diversité culturelle de l’Europe. Pour se faire, le Conseil a élaboré deux traités européens : une convention cadre et une charte qui ont force de loi dans les pays les ayant ratifiées.

La Convention cadre pour la protection des minorités nationales a été ratifiée par la majorité des pays du Conseil. La Convention cadre marque la volonté des États signataires de protéger l’existence des minorités nationales et de favoriser la tolérance conformément aux droits de l’Homme. Les États s’engagent aussi à préserver et à développer l’identité des minorités nationales ainsi qu’à en permettre l’expression. La Convention cadre mentionne que la protection des minorités nationales est essentielle « à la stabilité, à la sécurité démocratique et à la paix du continent » comme l’a montré l’histoire européenne.

Le Conseil de l’Europe a également pris en compte la protection des langues de ces minorités et rédigé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. 24 pays ont ratifié la Charte en s’engageant à protéger et promouvoir les langues régionales (comme le breton ou le corse) et les langues minoritaires (comme l’allemand au Danemark ou le hongrois en Slovaquie). La Charte considère que ces langues menacées font parties du patrimoine culturel européen et demande aux pays signataires de favoriser leur emploi dans la vie privée et publique. Pour cela les États doivent mettre en place certaines mesures : promouvoir ces langues, par exemple avec une signalisation routière bilingue, en favoriser l’enseignement, comme en Roumanie où une division entière du Ministère de l’éducation est dédiée aux Roms, et protéger la population de toute discrimination. Chaque État peut reconnaître les langues qu’il souhaite.

La France a refusé de signer la Convention-cadre et n’a pas ratifié la Charte. Ces refus lui ont valu une condamnation du Conseil de l’Europe. Elle a estimé que ces deux traités étaient contraires à la Constitution française qui stipule que « la langue de la République est le français ». Et elle a ajouté qu’ils n’étaient pas compatibles avec la République « indivisible », selon le Préambule de la Constitution, et le fait que la République ne reconnaisse que le peuple français composé de citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Mais la récente loi constitutionnelle, votée en 2008, déclare que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » et, d’après la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, chaque citoyen peut parler, écrire et imprimer librement. En tant que pays fondateur du Conseil de l’Europe, il est regrettable que la France ne ratifie pas des textes protégeant les droits de l’Homme. De plus, la France possède des langues régionales qui méritent une protection particulière car sont menacées d’extinction, comme l’occitan, le corse ou le breton.

Certains pays ayant ratifié la Charte et la Convention ne respectent pas leurs engagements. La Slovaquie, par exemple, a interdit l’utilisation des noms de lieux hongrois dans les manuels hongrois et a limité et, dans certains cas, puni, l’usage de la langue hongroise sur son territoire.

Les minorités nationales sont nombreuses en Europe. Elles sont chacune dans une situation particulière, mais tentent toutes de préserver leur culture et leur langue dans un contexte de mondialisation où quelques langues comme l’anglais dominent tous les échanges entre les pays. L’Union européenne offre une tribune à ces minorités dans ses institutions. Le Conseil de l’Europe élabore des textes visant à protéger les droits de chacun. Mais souvent ce n’est qu’au combat des représentants des nations minoritaires que nous devons les mesures qui protègent vraiment des langues et des cultures qui participe du pluralisme du patrimoine culturel européen.